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Tout faut - Page 6

  • Ouverture : 1. Caduc

    Je livre ici les deux citations placées au commencement de Tout faut.

    *

    Et comme ils n’ont pas jugé bon de garder la vraie connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à leur esprit sans jugement, pour faire ce qui ne convient pas : remplis de toute injustice, de perversité, de cupidité, de malice ; ne respirant qu’envie, meurtre, dispute, fourberie, malignité ; diffamateurs, détracteurs, ennemis de Dieu, insulteurs, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, insensés, déloyaux, sans cœur, sans pitié ; connaissant bien pourtant le verdict de Dieu qui déclare dignes de mort les auteurs de pareilles actions, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent.

    SAINT PAUL, Epître aux Romains

    *

    La crainte et la pitié peuvent sans doute naître du spectacle, mais elles peuvent naître aussi de l’agencement même des situations, ce qui est préférable et d’un meilleur poète. Il faut en effet composer l’histoire de telle sorte que, même sans les voir, celui qui entend simplement raconter les faits en frémisse et en soit pris de pitié : ce qu’on éprouverait en entendant raconter l’histoire d’Œdipe. Produire cet effet au moyen du spectacle relève moins de l’art et n’exige que des ressources matérielles. 

    ARISTOTE, Poétique

  • Interview. Programme : No private joke

    Pour une Culutre citoyenne ! est le troisième texte de Tout faut.

    Je livre ici un extrait significatif du dossier de subvention d’ « aide à la production dramatique » déposé cette semaine auprès d’une Direction Régionale des Affaires Culturelles du Ministère de la Culture. Pas d’autre commentaire.

    Je livrerai plus tard ici même quelques unes des scènes indépendantes composant cette pièce ; au moins celles-ci : 1. Mission de sévice public et  6. Défense et illustration du Sinistère de la Culutre.

    Ces amples citations « culutrelles » seront toujours accompagnées du visuel que voici :

     

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    Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail.

                         Lautréamont, Poésies II

     

    J’entreprends ici, dans ce dossier de subvention, d’expliciter certains enjeux du texte Pour une Culutre citoyenne ! par une auto-interview évidemment factice.

    L’exercice permet à l’auteur de s’exprimer avec une relative franchise, et de ne pas sombrer dans les jargons qu’il exècre, précisément parce qu’ils imposent à de prétendues singularités socialement nommées artistes de s’exprimer dans une langue technocratique convenue, et partant, morte.

    J’essaie donc de donner à cette présentation officielle un caractère fictionnel minimal, et d’écrire ce bref texte comme une scène pouvant en droit trouver place dans l’œuvre présentée même.

     

    1. Pourquoi Culutre, et non Culture?

    J’appelle Culutre tout ce dont, programmatiquement, il ne doit demeurer rien : c’est-à-dire presque tout. Pour une Culutre citoyenne !

     

    2. Faut-il trouver seulement ironique ce titre étrangement exclamatif ?

    Il ne faut rien, et vous trouvez ce que vous voulez.

    La seule chose sur laquelle je voudrais attirer votre attention est celle-ci : ce titre présente deux fautes de français : la première tient au mot Culutre lui-même, qui est un néologisme peu flatteur ; la seconde à l’impropre emploi du substantif citoyen comme adjectif épithète. Car en français – une langue qui ne se parle ni ne s’écrit plus – l’adjectif dérivé du substantif citoyen est civique.

    (Comme si on disait culture peuple en place de culture populaire, ou culture élite en place de culture élitiste… Parler d’une culture citoyenne, est au fond du même niveau de langue que de parler d’une « presse people », par exemple… et généralement, dans le milieu, c’est pour en faire l’apologie. Bien sûr. D’où, dans ce titre, le néologisme de Culutre, qui agit comme une distanciation.)

    Ceci pour faire entendre que si j’avais choisi pour titre un banal Pour une Culture citoyenne !, eh bien, ça n’aurait rien voulu dire non plus. Mais là, bien sûr, personne ne s’en serait aperçu.

    Parce que cette novlangue-là est couramment employée dans les milieux culturels.

     

    3. Bien. Mais quel est l’intérêt, au fond, de parler de la Culutre au théâtre ? Est-ce que ce n’est pas une private joke ?

    D’abord, le théâtre est le lieu où la Culutre n’est jamais critiquée.

    Vous verrez le théâtre critiquer à peu près tout, et tous les milieux, avec très souvent un mélange de naïveté, de morale puritaine et de bons sentiments tout à fait répugnant.

    Ensuite, je pense que la Culutre, loin d’être à part, loin de faire exception, loin de magiquement se situer au-dessus, est un milieu socio-professionnel qui catalyse toutes les imbéciles aspirations du monde contemporain.

    Pêle-mêle : Rivalité mimétique sous couvert d’égalité, promotions sociales délirantes et paupérisation globale, course impitoyable aux financements sous couvert de solidarité, chômage institué, volonté de se constituer en exception apparente par le sacrifice de la qualité au profit de la quantité (ce qui revient très exactement à rentrer dans la norme), intégrisme moral puritain au nom de la tolérance qui ne tolère qu’elle-même, mépris de sa clientèle qu’elle (la bien-nommée Culutre) nomme encore public quand elle n’a plus pourtant de réalité que statistique, et je passe sur le duo de choc prétentions démesurées et victimisations rentables

    En tout cela, la Culutre ne diffère donc pas, ou très peu, des autres aspects de notre monde rigolard.

    En somme : la qualité de la production est exactement indifférente ; seule compte la gestion optimisée du qu’en dira-t-on. Dictature de la communication. Comme partout.

    Aucune private joke, non. Bien au contraire.

     

    4. Donc, la Culutre, selon vous, est un milieu comme les autres ?

    D’abord, je ne vois aucune raison de principe pour laquelle un milieu ne pourrait pas être critiqué. Et moqué. Et fessé. Et battu. Je n’aime ni les communautarismes, ni les corporatismes.

    Alors commençons par balayer devant notre porte, avant de nous en aller pourrir de morale à la con des voisins qui, peut-être, ne nous méprisent pas sans raison.

    Mais il y a plus :

    Je trouve que la Culutre est tout de même à l’avant-garde. Elle est même, très loin à l’avant-garde du moderne, ce laboratoire où s’expérimentent les dernières innovations de la collusion libérale-libertaire :

    Sur une plateforme de financement public est créé une marché ultralibéral mettant en vente des produits presque exclusivement antilibéraux.

    La Culutre est tout à fait à l’avant-garde de la bassesse et de l’hypocrisie.

     

    J’ai écrit une farce. Pas une comédie. Il faut que ce soit violent. C’est même à la violence qu’il revient d’être drôle, dans la farce. On n’y exagère jamais assez.

     

     

    5. Oui, justement : pourquoi sous-titrer cette Culutre farce, et non pas comédie ? 

    La comédie, c’est sa définition classique, finit bien. Je ne mange pas de cette utopie-là.

    Maintenant, si vous entendiez comédie au sens vulgaire, au sens commun, qui est peut-être le seul un peu fondé, et si vous me demandiez en fait si l’on va rire à ma Culutre, je vous dirais alors que la farce s’apparente à la comédie en ce qu’elle divertit, certes, mais elle s’en distingue en cela qu’elle divertit exclusivement au détriment des puissants.

     

    Et aussi que si cette farce instruit, c’est uniquement à charge.

     

    (L’un des principes de la farce est évidemment celui de l’exagération monstrueuse. Un paradoxe, qui n’est peut-être qu’apparent, veut que cette exagération brutale soit seule capable de désigner la vérité.

    Il faut donc ne pas considérer les détails, et même les réputer négligeables, en l’espèce les maigres forces œuvrant, depuis le milieu culturel même, contre l’imbécillisation et l’analphabétisation globales. Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Précisément parce que le Diable est dans les détails.

    Ceci me contraint donc, et c’est heureux, à tenir pour rien ma propre position.)

     

    6. Mais cette Culutre, à quoi peut-elle bien servir ?

    1. A faire de la Propagande pour le néant.

    2. A abrutir encore un peu les imbéciles.

     

    3. A prouver que tout vaut tout dans un monde saturé de marchandises.

  • Notule pour un théâtre politique

    Comment parler au théâtre, sans détour ou abusif recours à la métaphore, du monde contemporain ? Sinon en posant que la première division politique sépare ceux qui ont le sens de l’humour de ceux qui ne l’ont pas ? (Et je ne parle pas ici de cet humour des circonstances du spectacle, épinglé au désuet, si agréable et inoffensif qu’il réunit bassement tout le monde). – Non, je me demande plutôt : Qui peut rire de soi-même, et de ses propres idées, non moins que de cette béance entre soi-même et ses propres idées ? Et de surcroît quand on lui présente tout cela méchamment déformé par une mauvaise foi sans frein, en public, dans le miroir du théâtre ?

     

     

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    Fabien Joubert interprétant Joseph Vronsky dans Ce que j'ai fait quand j'ai compris que j'étais un morceau de machine ne sauvera pas le monde de Pascal Adam, mise en scène de l'auteur. Ce texte appartient à l'ensemble Tout faut, dont il est la part finale (voir Sur le titre dans la catégorie Tout faut de ce blog). La photographie est de Thierry Robert.

  • Ouverture : 2. Sur le titre

    Le titre se prononce facilement « tout faux », mais s’écrit Tout Faut, selon le désuet indicatif présent du verbe faillir : je faux, tu faux, il faut… Où la troisième personne du singulier recoupe exactement celle du verbe falloir.

    Je m’arrête là, dans ce champ les développements paraissant infinis : de la faille à la faute, de ce qu’il faut et de ce qui est vrai, sans parler de cette Faux que tient la Mort. Signalons encore, tout de même, que tout faut peut avoir le sens de tout tombe, tout faisant littéralement dé-faut ; et voici la gravité, la chute, the fall, the fault.

    En ce sens, c’est à l’endroit où tout faut (faillir) qu’il faut (falloir) instituer autre chose. Il est donc bien ici question de la Chute et du péché originel, et de la façon dont s’institue ce qui en Occident n’est rien moins que le Père.

    Cette romanesque succession de pièces, comme elle peut, de préférence en parlant d’autre chose, raconte que l’Occident est terminé ; raconte, fût-ce sous le couvert du libéral-socialisme planétaire, sa faillite.

    A moins que…

     

     

    Si vous riez en lisant Tout faut, c’est que ma contre-machine littéraire atteint son but. Ce n’est pas de l’humour, c’est de la balistique.

    Si vous ne riez pas en lisant Tout faut, c’est que ma contre-machine littéraire atteint son but, et peut-être cette fois en étiez-vous la cible. Ce n’est pas de l’humour, c’est de la balistique.